Pierre Marty est le Fondateur de l’Ecole de Psychosomatique de Paris. Il a crée, seul et avec ses compagnons de route, Michel Fain, Michel De M’Uzan et Christian David principalement, un nouveau domaine du savoir au sein de la psychanalyse : la psychosomatique. Cette discipline a révolutionné la conception psychosomatique par le dépassement du dualisme psyché-soma qu’elle a construit pas à pas dans l’ensemble de ses travaux théoriques.
Pierre Marty est né le 11 mars 1918. Après des études de Médecine et de Psychiatrie il s’engage dans la psychanalyse. Très vite il devient Membre Titulaire de la Société Psychanalytique de Paris et, dès la fin des années 1940, il publie ses premières observations psychosomatiques. Pierre Marty est avant tout un clinicien hors pair qui a fasciné tous ceux qui l’on vu travailler avec des patients dans l’arène de la consultation. Sa présence lumineuse et sa proximité auprès du patient, son écoute rigoureuse de ses mouvements psychiques constituent pour ses élèves des documents théorico-cliniques d’une inestimable valeur. Car Pierre Marty avait un sens aigu de la transmission de son œuvre. Cette transmission est réalisée non seulement par ses consultations vidéoscopées mais aussi et surtout par ses supervisions collectives auxquelles ont participés un grand nombre de ses élèves et de ses thérapeutes. Paradoxalement ses écrits théoriques ont représenté une difficulté pour beaucoup de psychanalyses par leur abord abstrait et souvent rébarbatif. C’est que Pierre Marty se sentait beaucoup plus à l’aise dans l’exercice de la consultation clinique que dans la construction de son œuvre théorique. Avant d’aborder les chapitres principaux de ses découvertes cliniques et théoriques nous ne pouvons passer sous silence l’un de ses intérêts majeurs soutenu tout au long de sa vie, celui de la tauromachie. Car Marty a utilisé la relation tauromachique comme métaphore de la relation du patient avec son psychanalyste psychosomaticien. Il y a ainsi discerné toutes les variations de la relation d’objet du patient ainsi que celles de son tonus vital.
Pierre Marty a inventé, à partir de ses observations psychosomatiques, une nouvelle clinique psychanalytique. Ses principales découvertes cliniques sont : la relation d’objet allergique, la pensée opératoire et la dépression essentielle.
- - La relation d’objet allergiqueElle a été décrite en 1957. Il s’agit d’une relation d’objet original par laquelle le sujet se saisit de l’objet dans un mouvement d’absorption immédiat pour aboutir à une confusion interne sujet – objet. Cette relation d’objet allergique se rencontre particulièrement chez les patients atteints d’affection allergique mais elle peut aussi se retrouver chez des patients exempts de symptômes allergiques.
- - La pensée opératoireElle a été décrite en 1963 avec Michel De M’Uzan. Il s’agit d’une modalité de pensée caractérisée par son rétrécissement exclusif autour des évènements actuels et factuels. Elle est aussi et surtout caractérisée par sa négativité dans la mesure où elle est dépourvue d’attribut affectif symbolique et fantasmatique. Elle est le témoin exemplaire d’un fonctionnement mental défaillant dans sa fonction d’élaboration psychique.
- La dépression essentielle
Elle a été décrite par Pierre Marty en 1966. Elle est définie comme une modalité de dépression sans expression clinique en dehors de l’abaissement significatif du tonus vital. Elle résulte d’une perte globale des investissements tant objectaux que narcissiques. Elle accompagne en générale la pensée opératoire en formant avec elle ce que Pierre Marty a appelé la vie opératoire.
Pierre Marty a construit un modèle théorique achevé de l’économie psychosomatique individuelle. Au fondement de ce modèle se trouve une nouvelle conception pulsionnelle. Pour Pierre Marty les instincts et pulsions de vie sont attachées à tous éléments vivants, qu’ils soient somatiques ou psychiques. Ces instincts et pulsions de vie sont assimilés aux pulsions sexuelles et ont pour fonction la construction progressive de l’édifice psychosomatique individuel. Les instincts et pulsions de mort n’ont aucune autonomie sur le plan pulsionnel et représentent la face cachée et indissociable des instincts et pulsions de vie. Ils entrent en action lors de l’interruption des instincts et pulsions de vie et déconstruisent alors ce que ces derniers ont construits. En résumé, pour Pierre Marty, les instincts et pulsions de vie ont une fonction générale d’organisation, de hiérarchisation et de complexification tandis que les instincts et pulsions de mort ont une fonction de désorganisation, de morcellement et d’anarchisation. Cette théorie pulsionnelle s’inscrit dans le cadre d’une conception de l’économie psychosomatique animée par un principe majeur : le principe évolutionniste. Ce principe est un principe de transformations psychiques résultant des mouvements permanents d’organisation – de désorganisation et de réorganisation pour aboutir à une organisation psychosomatique individuelle.
L’un des résultats majeurs du modèle psychosomatique de Pierre Marty est la définition des processus de somatisation. Pour Pierre Marty il existe deux grands mouvements psychosomatiques qui aboutissent l’un et l’autre à une affection somatique ou solution somatique. Le premier mouvement est la régression. Ce mouvement conduit à des affections somatiques bénignes et réversibles en général. Il est soutenu par une qualité libidinale effective ou potentielle. Le second mouvement est celui de la désorganisation progressive. Il aboutit en général à des affections graves du type de cancers ou de maladies auto-immunes. Ces maladies évolutives comportent souvent un pronostic létal. La désorganisation progressive est soutenue par les instincts et pulsions de mort responsables du mouvement continu de désorganisation.
Le modèle psychosomatique de Pierre Marty a offert à l’ensemble des thérapeutes psychosomaticiens un outil technique qui leur permet, tel une boussole, de s’orienter dans le traitement des patients atteints d’affections somatiques. Cet outil est ce que Pierre Marty a appelé la fonction maternelle du thérapeute et son utilisation repose sur un principe énoncé par Pierre Marty : « de la fonction maternelle à la psychanalyse ». La fonction maternelle du thérapeute est définie comme une attitude du psychanalyste empreinte d’identification primaire au fonctionnement mental du patient et qui épouse au plus près de lui ses mouvements psychiques. Cette attitude est requise auprès des patients dont le fonctionnement mental s’avère défaillant dans sa fonction fondamentale d’élaboration psychique. Le principe énoncé par Pierre Marty (de la fonction maternelle à la psychanalyse) prescrit au thérapeute de faire varier son attitude psychanalytique parallèlement aux mouvements d’organisation ou de désorganisation du fonctionnement mental de son patient pour aboutir, au mieux, à un travail d’interprétation dans un cadre œdipien.
Pour conclure ce bref exposé du modèle psychosomatique de Pierre Marty nous devons signaler que cet illustre créateur nous a légué une classification psychosomatique dont l’intérêt majeur est d’envisager et de réaliser des recherches avec des disciplines voisines, médicales ou biologiques. Cette classification comporte trois rubriques : la première est celle dite de la structure fondamentale. Il s’agit d’évaluer l’organisation psychosomatique fondamentale du patient suivant une échelle marquée par le degré de la mentalisation ou de la qualité du travail des représentations. La seconde rubrique est celle des particularités habituelles majeures. Il s’agit d’identifier les modes habituels de fonctionnement mental du patient dans son régime en dehors de la maladie. La troisième rubrique est celle des caractéristiques actuelles. Ici il s’agit d’identifier les modifications du fonctionnement mental associées au développement de la maladie somatique.
Pierre Marty nous a quittés le 14 juin 1993 après une vie riche de 45 années de travail de recherche dans le domaine de la psychosomatique psychanalytique. Il nous a légué une œuvre d’une ampleur inestimable que tous les psychosomaticiens de notre Association Internationale de Psychosomatique Pierre Marty ont à cœur de poursuivre.
CLAUDE SMADJA